Pour saluer Mbougar Sarr

 
 
De quoi parle La plus secrète mémoire des hommes ?
De rien. Est-on tenté de répondre, comme le ferait sûrement le traducteur, un des personnages du roman éblouissant de Mohamed Mbougar Sarr.
Et on aurait raison de répondre ainsi, « de rien. »
Un rien, grand comme le tout.
Monde.
La plus secrète mémoire des hommes ne parle de rien, et le livre dit tout.
Tout de ce qu’est son auteur, et tout de ce qu’il n’est pas.
Tout.
De ce qu’est la littérature, et de ce qu’elle n’est pas.
Tout.
Du pouvoir des mots, et de leur impuissance.
Tout.
Du réel dans l’imaginaire, et de l’imaginaire dans le réel.
Le livre dit la vie et l’écriture, enlianées et inaliénables, l’écriture et la vie, dans leurs interstices d’ombres et de clartés.
Le nouvel ouvrage de Sarr est un labyrinthe dans lequel on entre, et dont on ressort, si on en ressort, étourdi et tremblant, avec le sentiment profond que quelque chose a bougé en-dedans, le labyrinthe est entré en nous.
Alors on part ou on repart, sur ses propres traces, en quête de sa question, sa question primordiale. Et même quand on pense la connaître, et même quand on en est certain, on se la repose quand même, pour être sûr, non pas de la réponse, qui n’existe -peut-être- pas, mais de la question elle-même, existentielle, la question, au fondement de l’être.
Je viens de terminer, pour la deuxième fois, le texte prodige de Mbougar.
Dans la pièce à côté, Aaliyah chante, Age ain’t nothing but a number.
Je souris.
Elle a tant raison.
Du haut de ses 31 ans, Mohamed est grand, très.
Et son amour pour la littérature, plus grand encore.
Fort est à parier, qu’elle le lui rendra.
D’ailleurs, elle le fait, elle le fête, déjà.
Depuis ses premiers écrits, La cale, Terre ceinte, Silence du chœur, De purs hommes, les critiques s’accordent, les reconnaissances pleuvent et distinguent son talent de raconteur d’exception.
La plus secrète mémoire des hommes est, n’ayons pas peur du mot, un chef-d’œuvre. D’érudition littéraire. D’intelligence également, et de nuance qui en est le luxe.
C’est un de ces ouvrages que vous ne lisez pas seulement, car ils vous lisent aussi, je veux dire ainsi qu’ils lisent en votre for intérieur, élisent domicile en vous pour un temps, vous le savez, le ressentez, le battement du cœur ne ment pas.
Les mots coulent, fluides, profonds, étincelles fulgurantes.
Sarr ne se regarde pas écrire, il écrit. Juste. Et touche l’âme.
Le récit qu’il fait d’une enquête littéraire à la fois quête de soi, menée par Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais lancé sur les traces de T.C Elimane, auteur maudit ayant disparu après avoir été porté aux nues puis crucifié par la critique, est absolument sublime.
Mohamed Mbougar Sarr signe là un livre-monde, traversant les continents, les époques et les genres, un livre-monde à la fois essai, polar, roman d’initiation, journal intime, correspondance, carnet de vertiges.
On est happé dès les premières pages, par le rythme du texte et le sens de l’histoire qui jamais ne se perdent au fil des 458 pages de ce fabuleux voyage en prose dans l’espace et le temps, et surtout au cœur de l’insaisissable, l’opaque condition humaine.
L’enquête et la quête de Diégane nous entraînent sur les pas d’Elimane et sur ceux du narrateur lui-même, en pays Sérère, Sine Saloum, terre-mère du jeune enquêteur, et de son illustre prédécesseur et fantôme poursuivi en Argentine, en France, aux Pays-Bas, au Sénégal …
On marche au milieu de la seconde guerre mondiale en Europe et des mouvements citoyens en Afrique, on lit le wolof, on rit au trait d’esprit juif, avant de frôler l’horreur nazie et d’observer plus loin la révolte de jeunes militants de la Teranga d’aujourd’hui contre le pouvoir en place, on vibre avec Latyr Faye et Madag, le couple Ellenstein, Mossane et les jumeaux Koumakh, Musimbwa et Béatrice Nanga, Aida et Siga, on fait l’amour, l’humour et l’amitié, on réfléchit à l’engagement et à l’exil, on avance dans l’histoire à moins que ce ne soit celle-ci qui avance en nous, sans jamais nous égarer ni nous éloigner de la littérature, oui la littérature elle-même, la littérature, dont Sarr est un merveilleux passeur vous donnant envie de lire ou relire Yambo Ouologuem, Roberto Bolaño, Ken Bugul, et d’autres, à la lumière de son livre qui chante la littérature, la littérature, sans frontières, la littérature, monde à part, entière, la littérature, en question sans réponse, en réponse sans question.
La littérature, ou la vie.
Mbougar écrit comme il respire, d’ailleurs peut-être écrit-il aussi pour respirer, très sérieusement je me le suis demandé, pendant ma lecture de l’ouvrage. Je me le demande encore.
Le Labyrinthe est entré en moi.
La dernière phrase du roman, me transperce le cœur. Je souris toujours, et remercie son auteur, dieuredieuf, na som jita, pour la ligne de crête arpentée, le temps suspendu.
Et l’horizon, que seules ouvrent en vous les grandes œuvres, celles qui resteront.
P.S : La plus secrète mémoire des hommes est une coédition Jimsaan (Sénégal) / Philippe Rey (France). Il y a là, un pont.
Un point, et même plusieurs, à surligner : la coopération des intelligences, le dialogue Nord-Sud, la fabrique d’en-commun. Cela est à saluer également, car c’est bien de cela qu’il s’agit aussi, nous réinventer, peut-être. Tout réinventer. Ensemble.
One Love !!!
MAOB

3 réflexions sur “Pour saluer Mbougar Sarr

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